Categories

A sample text widget

Etiam pulvinar consectetur dolor sed malesuada. Ut convallis euismod dolor nec pretium. Nunc ut tristique massa.

Nam sodales mi vitae dolor ullamcorper et vulputate enim accumsan. Morbi orci magna, tincidunt vitae molestie nec, molestie at mi. Nulla nulla lorem, suscipit in posuere in, interdum non magna.

google / libé – Lechner et Matteo Pasquinelli /02/03/10

http://www.liberation.fr/medias/0101622133-effet-de-serfs-sur-la-toile

Effet de serfs sur la Toile

Web . Une poignée d’acteurs du Net parasite la production de savoirs et de contenus réalisée par les internautes. Bienvenue dans l’ère du néoféodalisme numérique.

MARIE LECHNER

Internet serait-il en train de devenir la matrice d’un nouveau système féodal, où une poignée de grands seigneurs exploitent des légions de serfs ? Et non cette société de pairs tant célébrée ? On avait déjà l’impression ces derniers temps, en se baladant sur le Net, d’une foule de gueux faisant la manche en ligne, histoire de récupérer quelques sous auprès des généreux internautes afin de réaliser un film, sortir un disque ou financer une ascension au Népal. Une pratique en pleine expansion appelée crowdfunding, sorte de palliatif honteux de la «culture libre» et de l’économie du don : un pis-aller pour financer la création.

Ce dont l’internaute se doute moins, c’est qu’il est lui-même exploité, souvent à son insu. Une exploitation soft et sans douleur, parfois même consentie en échange de services gratuits ou de menues compensations financières, selon le système du crowdsourcing. Modèle économique apparu vers 2005, il s’appuie sur la disponibilité d’une armée d’internautes assis devant leur écran. Exemple le plus extrême, celui du Mechanical Turk, service d’Amazon qui agrège une myriade de microtâches fastidieuses (traductions, tags, commentaires), proposées par des entreprises désireuses de sous-traiter certaines besognes sans embaucher d’intérimaires. Les turkers, comme on appelle ces soutiers du Net qui acceptent des corvées simples mais gourmandes en temps, sont payés (sauf si l’entreprise estime que la tâche est mal faite), mais les sommes sont dérisoires, entre 1 cent et une poignée de dollars. Certains dénoncent un système d’exploitation à échelle mondiale, ignorant le code du travail et le salaire minimum légal.

Fourmi.Le système Recaptcha tient également du crowdsourcing. Un captcha, c’est cette suite de caractères difformes qu’on vous demande de recopier, histoire de vérifier si vous êtes bien un humain et non une machine malicieuse qui s’apprête à spammer. Chaque jour, 100 millions de captchas seraient utilisés. A raison de quelques secondes pour identifier et taper les caractères sur le clavier, cela représente des centaines de milliers d’heures que les internautes consacrent chaque jour à cette reconnaissance de caractères. Une équipe d’informaticiens a eu l’idée de rentabiliser cette énergie perdue et d’utiliser cette technique pour aider à numériser les livres, notamment les ouvrages anciens bourrés de mots illisibles, que les logiciels de lecture n’arrivent pas toujours à déchiffrer. Recaptcha affiche des mots issus de textes scannés que l’ordinateur n’a pas reconnus, et compte sur l’internaute pour les décrypter. Un travail de fourmi qui intéresse Google. La multinationale, qui est en train de numériser des livres du monde entier et de passer des accords avec les bibliothèques pour numériser leurs collections, a racheté la société Recaptcha. Google va ainsi bénéficier d’une armée d’internautes «bénévoles» pour améliorer son système de reconnaissance optique. Une méthode déjà employée par son Image Labeler, présenté comme un jeu où les internautes sont sollicités pour décrire une image et lui associer des mots clés afin d’aider Google à améliorer son moteur de recherche d’images.

Ce parasitage est pratiqué à grande échelle sur le Web. «Quelques barons possèdent toute l’infrastructure de communication et, en face, une multitude de travailleurs cognitifs freelance sont forcés à la créativité», décrivait le théoricien Matteo Pasquinelli (lire page suivante) lors d’une conférence au festival berlinois Transmediale. Le secteur privé s’engraisse sur le dos de la bête (autrement dit des internautes, blogueurs, indexeurs, vidéastes, musiciens, commentateurs), exploitant sans vergogne la production collective de savoir et «les biens communs» sans rien (ou quasi) en retour.

«Alliance». En échange de la mise à disposition de plateformes d’hébergement (YouTube, Facebook, MySpace…), l’amateur est convié à produire des textes, des images, des vidéos afin de générer du trafic, qui pourra être monétisé, tout comme les quantités de données personnelles qu’il génère. Mais rares sont les sites qui partagent leurs revenus publicitaires.

Le système publicitaire de Google, AdWords et AdSense, infiltre des sites web extrayant des bénéfices sans produire aucun contenu en reversant une part infime à l’hébergeur, car «nous sommes dans le ventre d’un parasite bienveillant», souligne Pasquinelli. «Qu’il simule un monde fictionnel, construise un environnement collaboratif ou simplement fournisse des tuyaux de communication, le parasite immatériel est en parfaite symbiose avec son hôte», écrit-il, car, comme pour son homologue biologique, il implique «toujours une alliance et une relation non hostile. Le parasite ne désire jamais la mort de son hôte.»

Similairement, l’économie du parasite immatériel n’est pas basée sur l’exploitation directe ou l’extorsion, mais sur la rente, estime le théoricien. La rente serait le nouveau modèle économique dominant du capitalisme cognitif et d’Internet. Pour schématiser, le profit est le revenu obtenu par la vente de biens ; la rente, le revenu fourni par l’exploitation monopolistique d’espaces. «A l’époque féodale, c’était l’exploitation de terres cultivées par des paysans, à l’âge d’Internet, c’est l’exploitation d’espaces immatériels cultivés par des producteurs culturels, prosumers [consommateurs producteurs, ndlr] et partisans de la “free culture”.» Ou comment le rêve d’une société mutuelle du don a été totalement dévoyé.

«Nous n’exploitons pas le réseau, c’est le réseau qui nous exploite»

Interview

Matteo Pasquinelli, théoricien des médias :

Par MARIE LECHNER

Matteo Pasquinelli est chercheur à la Queen Mary University de Londres. Dans son livre Animals Spirits (1), le théoricien des médias identifie les conflits sociaux et les modèles économiques à l’œuvre derrière la rhétorique de la culture libre.

Dans votre livre, vous critiquez le «digitalisme» contemporain, soit la croyance selon laquelle Internet est un espace libre de toute forme d’exploitation, qui nous mènerait naturellement vers une société du don.

Nous pensions qu’Internet était une sphère en constante expansion, capable d’avoir une incidence sur notre société. Aujourd’hui, nous réalisons que l’espace du Net s’est inversé : ce n’est pas nous qui exploitons le réseau, mais plutôt le réseau qui nous exploite. Si, dans les années 90, nous faisions le rêve politique d’une autonomie du réseau, aujourd’hui, nous ne faisons que survivre dans un paysage dominé par les monopoles. La question qui se pose désormais est de savoir quand cet excès de coopération en réseau va atteindre un point de rupture. Quand cette intelligence collective provoquera-t-elle un changement politique ? Devrions-nous finir par mesurer la valeur matérielle produite par les réseaux ?

Dans son livre la Richesse des réseaux, Yochai Benkler déclare que l’information n’est pas en concurrence, et prédit un mode de production non compétitif. Vous réfutez ce credo.

Non seulement Benkler, mais de nombreux économistes croient que l’information et le savoir sont des ressources infinies et que chacun peut y participer et en profiter à l’âge du numérique. Au contraire, l’immatériel est caractérisé par ses propres formes de friction, compétition et aliénation. La reproductibilité infinie du numérique produit des effets très matériels. Regardez l’industrie musicale et la manière dont elle a été bouleversée par le numérique. Regardez les travailleurs cognitifs et les freelances créatifs de la prétendue génération laptop. Ont-ils l’air de ne pas être en concurrence ? En réalité, le numérique a facilité la coopération, mais également la compétition et a permis l’établissement et le maintien de nouveaux monopoles comme Google.

Vous soulignez l’asymétrie entre le numérique et le matériel, notamment dans l’économie de la culture.

Cette asymétrie est simple : c’est l’exploitation parasitaire de l’économie immatérielle par l’économie matérielle. Prenons les réseaux peer to peer. Ils sabotent les revenus de l’industrie du disque mais, en même temps, ils établissent un nouveau commerce, celui des lecteurs mp3 et iPods. Prenez les «villes créatives» (2) et observez le processus de gentrification. Le grand vainqueur de ce capital symbolique collectif produit par les multitudes de créatifs branchés est le marché de l’immobilier. Nous avons besoin de nouveaux modèles bicéphales pour expliquer l’économie du savoir. La propriété intellectuelle n’est pas le seul terrain de confrontation. Les nouvelles formes de rente économique et d’exploitation du savoir collectif constituent un nouveau champ de bataille crucial.

Au festival Transmediale, à Berlin, vous avez dit qu’Internet est en train de devenir la matrice d’un nouveau système féodal.

Un exemple basique : le numérique a changé le monde de la musique d’une manière néoféodale. Les réseaux peer to peer ont affecté à la fois les grands noms de l’industrie musicale et l’underground. Le numérique a rendu la scène musicale plus compétitive et polarisée, seuls quelques noms peuvent survivre dans un marché où les disques ne se vendent plus. Le scénario résultant est une opposition entre les quelques stars sélectionnées par les entreprises médiatiques et une multitude de musiciens forcés à une économie locale de concerts et de performances.

Vous observez que cette économie du Net mène à un déclassement.

On parle souvent de la crise de la classe ouvrière comme d’une entité politique. Mais ce qui se passe aujourd’hui sous nos yeux est une crise de la classe moyenne cognitive. Il y a un mot intéressant dans la théorie critique française, qui examine le capitalisme cognitif : «déclassement» – quand une classe sociale est rabaissée, perdant prestige social et économique. En cette décennie du Net, nous faisons l’expérience d’un déclassement massif des travailleurs cognitifs devenus des travailleurs précaires. Le néoféodalisme est aussi cette dépossession des acteurs intermédiaires.

Vous écrivez que c’est une erreur de considérer l’organisation technique d’Internet comme une organisation politique.

Internet représente surtout un changement dans la composition technique du travail. Nous travaillons, communiquons et vivons de cette manière aujourd’hui. L’erreur est de considérer cette organisation technique comme une organisation politique en tant que telle. Nous pouvons utiliser Internet pour nous organiser, mais nous ne pouvons pas prendre ça pour de l’organisation politique. Nous devrions réellement commencer à discuter la production, l’extraction et l’accumulation de valeurs économiques réelles réalisées à partir des réseaux plutôt que de nous complaire dans un idéalisme bon marché.

(1) Animal Spirits: A Bestiary of the Commons, Rotterdam: NAi Publishers, Institute of Network Cultures, 2008. http://matteopasquinelli.com/animal-spirits (2) Politique urbaine visant à redynamiser des quartiers en déshérence en y installant industries créatives et nouvelles technologies.

Leave a Reply