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Une société de la requête

à propos de la conférence “la société de la requette” dont on a déjà parlé ici (google things) ), mais repris cette semaine dans un blog du monde

Une société de la requête

Dans le monde numérique d’aujourd’hui, il est nécessaire de comprendre le fonctionnement intrinsèque des systèmes que nous utilisons. En novembre 2009, la conférence sur la “Société de la requête” s’est ainsi intéressé à Google, pour comprendre la manière dont il nous manipule et à partir de là, imaginer comment le contourner et le subvertir. Retour sur la Googlisation de nos vies…

Suite à la publication de l’article de Geert Lovink sur la société de la requête et la googlisation de nos vies, celui-ci a organisé mi-novembre 2009 une conférence sur ces sujets, visiblement très riche. Le blog de comptes-rendus a servi de trame pour essayer d’en rendre un aperçu – notez que toutes les vidéos des présentations sont également accessibles en ligne.
Nous sommes tous les ouvriers de Google !

La conférence a été introduite par l’économiste Yann Moulier-Boutang, qui avait coordonné cet été un passionnant numéro de Multitudes sur la question, une revue dont il est le directeur. Yann Moulier-Boutang est l’auteur du Capitalisme cognitif et prépare un livre sur les rapports entre la finance et le capitalisme intitulé L’abeille et l’économiste. “Ne sommes-nous pas tous en train de devenir les abeilles ouvrières de Google ?”, interroge l’économiste. Pour lui, Google est devenu l’emblème du capitalisme cognitif, car il a inventé un nouveau modèle économique s’appuyant sur le développement maîtrisé des réseaux d’intelligence collective.

Image :Yann Moulier-Boutang photographié par Anne Helmond.

“Vous travaillez pour Google ! Chaque seconde, 15 millions de personnes cliquent et alimentent Google en données”, explique-t-il. Ce que Google vend n’est pas un service ordinaire, mais un méta-service, qui dépend de la contribution de chacun. Et de comparer cette activité humaine à celle de l’abeille ouvrière qui pollinise l’économie de Google. “Les apiculteurs des Etats-Unis ne gagnent plus leur vie en vendant de la cire ou du miel. Ils vendent l’activité de leurs abeilles : ils louent leurs services de pollinisation. ”

Pour Moulier-Boutang, ce nouveau modèle économique est en train de remodeler le capitalisme sous la forme de ce qu’il appelle un “méta-marché”. Dans ce type de marché, la connaissance devient un bien public, c’est-à-dire un bien non rival qui peut facilement être échangé sur le réseau. Peut-on libérer le travailleur du clic (clickworker) de Google ? Boutang n’en semble pas certain, mais imiter Google par un moteur de connaissance open source ou public pourrait être le dernier espoir de libérer les abeilles de l’apiculteur.
La science des bases de données transforme notre société

Pour l’historien suisse des technologies, David Gugerli, auteur de Suchmaschinen, Die Welt als Datenbank (Moteurs de recherches, le monde comme base de données), la recherche est devenue aussi cruciale qu’un cadavre dans la série Les Experts. Pourquoi ? Parce que le cadavre est une base de données de traces qui permettent toujours de confondre le coupable et résoudre l’enquête, s’amuse l’historien. Le processus de recherche est à cette image : il voit le monde comme une base de données.

Image : David Gugerli photographié par Anne Helmond.

Les systèmes de gestion de bases de données sont devenus une variable capitale qui façonne notre monde réel. L’utilisation et la gestion de ces systèmes sont devenus un instrument qui produit et influence le changement social. Déjà dans les années 60, quand elles ont été inventées, les bases de données devaient être en mesure de donner des réponses inattendues et recombiner des informations. Depuis, nous sommes entrés dans l’ère des sciences des bases de données qui ont produit une nouvelle réalité sociale : nouvelles structures d’organisation, nouvelles formes administratives, nouvelles formes d’attribution… Comme le montre l’entreprise moderne utilisant des systèmes logistiques complexes lui permettant de gérer la chaîne d’approvisionnement et de production en temps réel, qui ne sont possibles justement que grâce aux systèmes de gestion en base de données.
Le parasite Google

La présentation du théoricien des médias italien, Matteo Pasquinelli, s’appuyait sur son article consacré à “l’algorithme Page Rank de Google, un schéma du capitalisme cognitif” (.pdf). Selon lui, l’algorithme de Google, qui détermine la valeur d’un site en fonction du nombre de liens qu’il reçoit, et de leur provenance (entre autres), est à la base de la puissance de Google, explique-t-il dans sa présentation. Inspiré par le système de référence des publications universitaires dans lequel la valeur d’une publication est déterminée par le nombre de citations que cette publication reçoit, le PageRank découle de la notion de plus value machinique initiée par Guatarri. Elle est caractéristique de l’économie cognitive, car elle s’appuie sur la valeur du réseau. Google est le “rentier de l’intelligence commune”, c’est-à-dire que le contenu libre produit par le travail libre des personnes qui naviguent sur le réseau est indexé par Google et utilisé dans des activités génératrices de profits. En cela, elle s’oppose à la notion de “Culture libre”, théorisée par Lawrence Lessig dans la mesure où, si Google propose une plate-forme et des services gratuits, chacun de nous contribue à son activité économique lorsqu’on effectue une recherche – pas seulement d’ailleurs puisque Google introduit de plus en plus d’instruments de classements notamment en provenance d’évaluateurs humains.

Image : Matteo Pasquinelli photographié par Anne Helmond.

Existe-t-il une alternative au parasitisme de Google sur la production collective de connaissance ? Comment pouvons-nous nous réapproprier cette valeur ?, se demande le philosophe. Peut-être par la création d’un algorithme de PageRank ouvert ? Ou par un classement reposant sur la confiance ? La question demeure ouverte.

Hubert Guillaud
Une société de la requête (2/3) : Subvertir Google

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Dans le monde numérique d’aujourd’hui, il est nécessaire de comprendre le fonctionnement intrinsèque des systèmes que nous utilisons. En novembre 2009, la conférence sur la “Société de la requête” s’est ainsi intéressé à Google, pour comprendre la manière dont il nous manipule et à partir de là, imaginer comment le contourner et le subvertir. Retour sur la Googlisation de nos vies…

“Pourquoi sommes-nous si passifs à faire respecter nos droits ?”

“Dans une société de la requête, il est intéressant de se demander ce qu’il advient de toutes ces requêtes : quelles normes juridiques s’appliquent aux enregistrements, aux traitements et à l’accès de ces requêtes et si ces normes sauvegardent avec succès les intérêts les plus fondamentaux des utilisateurs des moteurs de recherche”, explique Joris van Hoboken, de l’Institut pour le droit de l’information d’Amsterdam, qui a publié une thèse sur les moteurs de recherche et la liberté d’expression. La vie privée existe-t-elle encore dans un environnement où tout devient cherchable ?

Image : Joris van Hoboken photographié par Anne Helmond.

Les utilisateurs ne savent pas que la loi leur accorde le droit d’accéder à toutes données personnelles enregistrées sur eux (article 12 de la directive européenne 95/46/CE : “les États membres garantissent à toute personne concernée le droit d’obtenir du responsable du traitement: […] connaissance de la logique impliquée dans tout traitement automatisé des données le concernant.”) “Pourquoi alors sommes-nous si passifs à faire respecter nos droits ?”, s’indigne Hoboken. En rappelant l’affaire des logs d’AOL qui avaient permis d’identifier plusieurs centaines d’utilisateurs (comme cette dame voir “A qui appartiennent mes logs”), Hoboken rappelle que les données ne sont jamais complètement anonymes. Et de dénoncer l’opacité des moteurs de recherche – et de nos Etats – qui préconisent le stockage des données à des fins répressives. Le sort de la confidentialité réside dans le défi à tirer avantage des nombreuses lois sur la protection des données et dans notre capacité à les comprendre et à faire exercer nos droits.
Construire des alternatives

Michael Stevenson, étudiant au Département d’études des médias de l’université d’Amsterdam, a présenté une sélection de projets artistiques et activistes liés à la recherche sur le web.

Ainsi, IP-Browser cherche à créer une expérience de navigation alternative permettant de surfer sur des adresses IP proches de la votre. Shmoogle permet d’accéder aux résultats de Google de manière chaotique, bouleversant le saint ordre du PageRank. L’internet qui dit non, vous rappelle concrètement que vous ne devez pas utiliser Google en essayant de rendre votre navigation depuis Google insupportable. Le générateur de faute d’orthographe d’Erik Borra et Linda Hilfling est né en se rendant compte qu’introduire une faute d’orthographe sur le terme Tiananmen permettait d’obtenir des résultats contournant la censure sur ce terme dans l’index chinois de Google, permettant alors d’accéder à des images de la manifestation par exemple. Une manière de subvertir le correcteur orthographique et l’index de Google.

La ZAP Machine (vidéo) du collectif APFAB est une installation qui cherche les images qui, pour l’autorité que représente Google, correspondent aux mots que nous cherchons afin de les réintroduire dans d’autres contextes, afin de créer une tensions sur le sens des résultats que nous livre le moteur. Le “Maladie Disco” de Constant Dullaart consiste à utiliser la recherche d’images de Google par option de couleur pour interroger des termes de maladies en les mixant avec de la musique disco, permettant de faire contraster le fond et la forme de nos requêtes. The Anxiety Global Monitor utilise des cadres pour afficher des recherches d’images dans différentes langues, permettant de voir à quoi ressemblent des termes comme la peur en arabe, hébreu, anglais ou néerlandais… Cookie Monster d’Andrea Fiore a recueilli les cookies d’utilisateurs pour donner à voir leurs habitudes et leurs goûts. I love Alaska de Lernert Engelberts et Sander Plug a utilisé les données de requêtes libérées par AOL pour en faire une véritable histoire sous forme de petits films.

Pour le collectif Ippolita, auteur d’un livre sur La face cachée de Google, il faut arrêter de s’interroger pour construire et expérimenter des réponses… Celles-ci commencent par une attitude propice à l’éducation aux médias. Ainsi que dans une opposition au modèle industriel de la productivité : il faut construire une réponse sur un modèle convivial qui implique le maintien de l’autonomie, la créativité et la liberté. Pour répondre aux interrogations sur les risques que fait peser Google sur nos vies privées, le collectif Ippolita a d’ailleurs conçu SCookies, qui permet de partager ses cookies avec d’autres pour leurrer les moteurs et les sites web.
Libérez les silos de données !

Ingmar Weber, chercheur à Yahoo!, a présenté un point de vue assez iconoclaste et très personnel, consistant à demander la libération des logs de recherche. Le journal des actions de recherche des individus est une source puissante de données : qui permet de connaître l’évolution de la grippe ou le bar préféré des gens. Le problème si vous souhaitez construire un moteur de recherche, c’est que vous ne pouvez pas avoir accès à des journaux de recherches : les principaux moteurs de recherche accumulent leurs logs comme les avares assis sur des monceaux d’or, explique le chercheur. Il existe d’autres monticules d’ors ou silos d’informations fermés comme les appelle Weber : telles les données de connexion des téléphones mobiles ou de nos cartes de crédit qui pourtant pourraient permettre par exemple de prévoir les embouteillages ou de faire une cartographie de nos consommations…

Image : Ingmar Weber photographié par Anne Helmond.

Saurons-nous déverrouiller ces silos et en chasser les avares tout en respectant les questions évidentes de confidentialité et les éventuels abus ? Comment pourrions-nous tous contribuer aux journaux de recherche tout en nous protégeant des intrusions et des mauvais usages de nos données personnelles ? SCookies d’Ippolita apporte une solution de partage de données sans facteur terrifiant. Mais quelles autres innovations légales ou techniques pourraient nous permettre d’ouvrir les journaux de requêtes comme des biens publics ?
Comprendre la transmutation du langage en un marché global

L’artiste français Christophe Bruno travaille depuis longtemps à des projets artistiques qui interrogent notre manière d’utiliser les moteurs de recherche. Comme Epiphanies en 2001, inspirées des épiphanies de James Joyce qui se promenait à Dublin en notant des fragments de phrases entendues à la volée, l’installation de Christophe Bruno vole et assemble des textes au hasard des requêtes que les gens lancent sur Google. Fascinum, qui date également de 2001, était un programme qui allait chercher dans les différents sites régionaux d’actualités de Yahoo! les images les plus regardées dans chaque pays, c’est-à-dire ce qui nous fascine le plus tout autour du monde. Avec Adwords Happening, Bruno s’attaque au capitalisme sémantique : il achète des mots via Google AdWord et les présente avec leur prix afin de nous faire prendre conscience que désormais chaque mot a un prix et peut être acheté.

Image : Christophe Bruno photographié par Anne Helmond

En 2004, avec Human Browser, Bruno a fait le constat que les entreprises ont commencé à détourner les méthodes de Guerilla Marketing qu’utilisaient certains artistes conceptuels. Dans cette installation, des humains récitent des résultats de recherches faits par d’autres utilisateurs en temps réel. L’être humain incarne alors le World Wide Web.

Logo hallucination est un projet qui scanne les images du web à la recherche de logos et, quand il en trouve, adresse à ceux qui ont posté la photo un e-mail pour se plaindre d’une violation de copyright.

Son plus récent projet, le DadaMètre, s’inspire des travaux de Raymond Roussel, le précurseur du mouvement Dada, pour surveiller l’évolution du langage et des mouvements artistiques.
Manger Google !

Alessandro Ludovico, chercheur et artiste, éditeur du magazine Neural.it, célèbre pour ses projets Amazon Noir et Google will eat itself (Google va se manger lui-même, GWEI), est venu discuter de la vision très critique qu’il porte sur la firme de Mountain View.

Image : Alessandro Ludovico photographié par Anne Helmond.

Google établit des monopoles par son omniprésence, sa “coolitude” et par les fonctionnalités attirantes qu’il développe. La firme a un taux d’innovation accéléré grâce à des règles flexibles. En interne, la devise de leur organisation est la liberté et elle s’avère plutôt efficace. Extérieurement, les produits conçus sont clairs et convaincants. Leurs services sont amusants et attrayants, constate l’artiste.

GWEI est un hack qui consiste à concevoir de faux sites web qui souscrivent au programme Google AdSense, programme par lequel Google rémunère des publicités contextuelles aux clics. Ces revenus servent à acheter des actions Google. “Google nous donne de l’argent pour s’acheter lui-même”, c’est tout le principe de ce Google qui se mange lui-même. “Après un certain temps de fonctionnement, Google a compris que nous cherchions à détourner son programme et nous a fermé nos annonces…” Ce qui n’a visiblement pas empêché le collectif de continuer l’expérience en ouvrant d’autres comptes… “Notre logiciel génère des clics frauduleux à chaque fois qu’un utilisateur accède à nos sites et envoie à Google des données, comme si l’utilisateur avait cliqué sur l’annonce. Notre logiciel simule le comportement d’utilisateurs.” C’est une expérience scientifique (et artistique) autour d’une faille de Google : qu’est-ce qui distingue un clic frauduleux d’un clic qui ne le serait pas ?

Comme s’en amuse leur auteur, il faudra 23 millions d’années au logiciel pour arriver à racheter les actions de Google. Ce qui fait que le projet ressemble bien plus à un pied de nez qu’à une fraude.

Les interfaces de Google – si propres, arrondies, simples, standards et si reconnaissables -, comme leur logo lisse, rond, brillant et familier, sont impénétrables. Alessandro Ludovico les qualifie d’interfaces en porcelaine. “Google sait très bien divertir les utilisateurs : en libérant régulièrement de nouveaux services, toujours plus efficaces. Via cette interface en porcelaine Google se présente comme un bien public. Les services et les interfaces nous hypnotisent, pour servir de la publicité qui reste le coeur de métier de Google. (…) Mais Google n’est pas un système naturel, il est un système économique.” La mission de Google est d’obtenir des informations pour les rendre universellement accessibles. Une mission comparable avec celle de la bibliothèque du Congrès, si ce n’est que cette dernière est un service public, ce que Google ne sera jamais. Il reste un service public privatisé : et la question est de savoir si c’est ce que nous voulons, si c’est ce à quoi nous voulons que nos services publics ressemblent…

“Le plus grand ennemi d’un géant est le parasite”, conclut Alessandro Ludovico. “Nous devons commencer à décoder et éliminer ces mécanismes (…). Nous devons créer des anticorps aux interfaces de Google.”

Hubert Guillaud

Une société de la requête (3/3) : Comprendre Google

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Dans le monde numérique d’aujourd’hui, il est nécessaire de comprendre le fonctionnement intrinsèque des systèmes que nous utilisons. En novembre 2009, la conférence sur la “Société de la requête” s’est ainsi intéressé à Google, pour comprendre la manière dont il nous manipule et à partir de là, imaginer comment le contourner et le subvertir. Retour sur la Googlisation de nos vies…

La machine à globaliser : réinterpréter les résultats des machines

Pour la chercheuse Esther Weltevrede, membre de GovCom.org, une association hollandaise dédiée à la création d’outils politique en ligne, et de l’Initiative Méthodes numériques (Digital methods initiative), la question clef à se poser est “quel type de machine à globaliser est Google ?”

Image : Esther Weltevrede photographiée par Anne Helmond.

Si le PageRank est considéré comme un système de classement mondial de toutes les pages web, conçu pour toutes les informations du monde, que se passe-t-il quand Google passe à l’échelle locale ? Qu’arrive-t-il aux résultats locaux ? Quand on cherche Amsterdam dans Google.com et dans Google.nl, on n’obtient pas les mêmes résultats, constate la chercheuse. Or il y a 157 Google locaux dont les variables clefs sont l’adresse IP, le domaine de premier niveau et les pages web. Google sait distinguer les langues, les régions, les pays… Néanmoins, “si Google pense globalement, il agit localement” explique Esther Weltevrede.

Elle a ainsi comparé les 10 premiers résultats à la requête “droits de l’homme” dans chacun des Google nationaux. Dans toutes les listes, l’ONU est l’une des sources les plus importantes, ainsi que les traductions des Déclarations des droits de l’homme. Mais 40% des Google nationaux n’obtiennent pas de résultats locaux sur cette requête : si l’Europe est bien servie en résultats locaux, ce n’est pas le cas de l’Afrique ou du Moyen-Orient. Dans certaines langues ou pays, les sources locales n’arrivent pas avant la deuxième page de résultats, voire au-delà.

En exécutant une requête sur le terme “droits” Esther montre que ceux qui arrivent en tête de résultats sont assez différents d’un domaine local à l’autre. En Italie les droits à la nationalité arrivent en tête, au Japon ce sont ceux de la programmation informatique alors qu’en Finlande ce sont ceux d’errer dans la nature… Les résultats locaux de recherches ne sont pas synonymes de sources locales explique la chercheuse, cependant de réelles distinctions semblent se faire par la langue.

Le chercheur Martin Feuz, a conçu lui, Perspectoma, un moteur de recherche qui nous permet d’avoir un aperçu de la façon dont Google Personal Search propose des résultats de recherche personnalisés sur la base de nos requêtes et de notre historique web. Pour une même recherche, Perspectoma permet d’obtenir les résultats disponibles pour le profil enregistré et ceux d’un utilisateur anonyme en les comparant de multiples manières (voir sa présentation .pdf). Google Recherche Personnelle ne donne pas d’indication sur les modifications des classements qu’il opère en fonction de votre historique web. En créant Perspectoma, Feuz souhaitait savoir à partir de quand le moteur commence à renvoyer des résultats personnalisés. Pour cela il a créé plusieurs profils à partir des oeuvres et des personnages de Kant, Foucault et Nietzsche et a constaté que le profil de Foucault a donné des résultats personnalisés assez rapidement alors que cela a moins été le cas de Kant. Et de constater que la personnalisation consiste surtout à altérer les résultats et à faire remonter des résultats qu’on trouve plus bas dans les pages avec un profil neutre. La personnalisation n’est pas encore capable de faire ressortir les résultats les moins dominants, mais qui peuvent être pourtant plus pertinents, constate-t-il. A croire que l’ogre n’a pas encore atteint sa taille adulte.
Quelles alternatives ?

Pour Matthew Fuller, la mythologie du moteur de recherche est qu’il n’existe qu’un seul type d’utilisateur et qu’un seul point final pour une recherche donnée. Ce n’est pas le cas, rappelle-t-il en dressant la liste de quelques moteurs de recherches intéressants. Selon lui, le document fondateur de Google, l’article de Brin et Page, propose une méthodologie qui peut être le fondement de bien d’autres possibilités. “Si nous comprenons la dynamique et les conditions de ce que comporte un moteur de recherche, et si nous le pensons à travers une métaphore biologique (dans son anatomie), alors nous pouvons comprendre comment les moteurs de recherche vont être incités à changer”.

Image : Matthew Fuller photographié par Anne Helmond.

Et d’évoquer Viewzi, Oamos ou Kartoo comme autant de pistes d’alternatives à Google. Les moteurs de recherches ne doivent pas seulement être un moyen de retourner des résultats, comme Google le fait d’une manière bien linéaire. “La conception d’interfaces qui correspondent au potentiel de la complexité du web est sous-développée”. C’est certainement là que repose le défi de la prochaine génération de moteurs. Même si on doit reconnaître que c’est la simplicité linéaire de Google qui pour l’instant, justement, a fait la différence face à ces autres alternatives.
Googlisation : mais qui a les compétences pour s’en extraire ?

Siva Vaidhyanathan est historien de la culture et professeur d’étude des médias et de droit à l’université de Virginie. Il s’apprête à publier La Googlisation de toutes choses, une enquête sur les actions et les intentions de Google qu’il a longtemps mené par l’intermédiaire du blog qu’il a consacré à ce sujet. Dans sa présentation concluant la conférence, il a restreint son attention sur sa critique de la politique et des implications de Google Street View (GSV), un bon exemple pour comprendre le fonctionnement de “l’ogre” de Mountain View.

Image : Siva Vaidhyanathan photographié par Anne Helmond.

Conformément à la législation, il ne peut y avoir aucune information identifiable sur une personne dans GSW… Et Google s’est défendu jusqu’à présent par une technique de brouillage des visages et des plaques d’immatriculation. Mais est-ce que cela suffit ? Siva Vaidhyanathan habite un quartier de New York rempli de jeux de hasard illégaux. Plutôt fort, particulièrement grand, il se promène souvent avec son chien blanc, faisant un couple assez reconnaissable dans le quartier. Quand bien même on brouillerait son visage sur Google Street Map, qu’une photo de lui et son chien serait reconnaissable par beaucoup de gens. “L’anonymisation n’est pas une mesure efficace”, pas plus sur GSW qu’elle ne l’est avec les données. Les autorités suisses envisagent de faire un procès à GSW car, selon eux, le procédé n’est pas assez rigoureux dans le respect de la vie privée. “La plus forte réaction contre GSW est venue du Japon”, tant et si bien que Google est en passe de retirer GSV dans ce pays.

“Google a mal mesuré le rapport des Japonais à l’espace public. Dans les quartiers les plus anciens de Tokyo, la rue en face de sa maison est considérée comme étant de la responsabilité de celui qui occupe la maison, elle est vue comme une extension de leur maison. GSW s’est donc mis à envahir l’espace privé des gens”.

A mesure que Google s’épanouit dans d’autres parties du monde, il y aura d’autres exemples de frictions, prédit-il, d’autant qu’il n’est pas évident de comprendre comment on peut faire attention à ses données. Certes, reconnaît-il, il est important de noter que Google offre et améliore couramment ses services pour protéger et gérer les données de l’utilisateur : GSV permet de signaler un contenu répréhensible par exemple et le récent Tableau de bord de Google montre un résumé – incomplet – de toutes les données que Google stocke sur vous.

Un homme immortalisé sans son consentement par Google Street View”Nous, dans cette salle ne sommes pas susceptibles d’être lésés par Google, car nous faisons partie d’une techno-élite cosmopolite…” Nous avons les compétences pour obtenir le retrait de certaines de nos informations de Google, mais est-ce le cas de tous, s’interroge-t-il en montrant l’image d’un homme immortalisé en train d’uriner sur le bas-côté d’une route dans GSV. “Cet homme ne sait pas qu’il est dans GSV donc nous pouvons rire de lui. Il ne sait pas qu’il est la clef pour être la victime d’un tel système.”

Hubert Guillaud

Pour ceux qui souhaiteraient aller plus loin, plusieurs des contributeurs de cette journée ont participé au livre dirigé par Konrad Becker, cofondateur de l’Institut pour l’information mondial et organisateur d’une série de conférences sur le sujet, intitulé Deep Search – The Politics of Search beyond Google (Recherches profondes, politiques de recherche au-delà de Google).

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